mardi 25 août 2009

TARMAC

Nicolas Dickner, roman, éditions Alto, 269 pages
Nouilles ramen et fin du monde - deux éléments très présents dans ce deuxième roman du Louperivois d'origine, jeune homme d'une grande érudition dont l'imagination semble connaître peu de limites.
Août 1989, stade municipal de Rivière-du-Loup. Michel Bauermann est sur le point de rencontrer Hope Randall, détentrice d'atouts plus ou moins enviables: 195 points de Q.I., la connaissance de sa propre date d'apocalypse, une mère disjonctée et une vieille Lada qui, partie de Yarmouth, a choisi de rendre l'âme dans le bas du fleuve.
Voilà donc le point de départ d'une histoire d'amour pour le moins compliquée qui vous mènera à New York et dans les rues de Tokyo où Hope circule avec son Rough Planet, outil absolument indispensable pour demander «Puis-je emprunter votre masque à gaz / votre habit antiradiation?» (Gasumasuku / houshanou bougyo suutsu o kari te mo ii desu ka?).
Pour le reste, disons qu'il s'agit d'un heureux mélange d'humour, de faits hautement scientifiques, d'actualité politique internationale de l'époque et de divagations qui ne manquent pas de profondeur: «Pendant une seconde, Hope imagina ses rognures d'ongles envoyées sur une planète vierge et sans vie, comme la Terre à l'époque de la grande soupe primitive. Elles pourraient contaminer ce milieu nourricier, y engendrer de nouvelles formes de vie. On verrait apparaître des unicellulaires, des méduses, puis des poissons vertébrés qui grouilleraient et nageraient et ramperaient, sortiraient des océans, développeraient des technologies et des langages, des religions, des villes et enfin des civilisations qui se feraient la guerre et bâtiraient des tours en spirale et craindraient la fin des temps. Tout un monde né de quelques rognures crasseuses.»
Du même auteur, Nikolski paru en 2005 a reçu le Prix des libraires du Québec, le Prix littéraire des collégiens et le prix Anne-Hébert, sans compter qu'il a déjà été traduit en dix langues. Impressionnant vous dites?
(Le prêt est une gracieuseté de Livres en tête)

mardi 18 août 2009

JULIUS WINSOME

Gerard Donovan, roman, Seuil, 245 pages
Troublant, choquant, empreint de poésie. Voilà un livre qui ne vous laissera pas indifférent.
Un chalet dans le bois. Une passion pour les mots - 3 282 livres laissés par le paternel en tapissent les murs. Un fidèle compagnon à quatre pattes qui se fait abattre sauvagement par un chasseur. Oh, oh, ça va faire mal.
Poursuivons. Un homme. Seul. Doux, bienveillant, prenant grand soin des plantes, des fleurs, des animaux. Un homme bon qui va se transformer en monstre implacable, au cœur aussi glacial que la forêt du Maine sous la tourmente.
Si la vengeance constitue évidemment le nœud de l’histoire, Julius Winsome ratisse beaucoup plus large. On y parle de nature, de littérature, des horreurs de la guerre, de la redoutable efficacité du Lee-Enfield ramené des tranchées par le grand-père. Tout ça dans un style direct, un brin sarcastique: «Vrai, je l’avais traité comme un bébé, et d’aucuns trouvent ça anormal de traiter un animal comme un être humain, alors que tant de malheureux crèvent de faim. Commençons par nourrir ceux qui n’ont rien à se mettre sous la dent! Sans doute ces gens-là nourrissent-ils ces affamés dès qu’ils en ont l’occasion, je n’en ai aucune idée.»
Beaucoup d’originalité, enfin, de la part de celui qui au fil des pages dévoile son âme de poète, usant d’un vocabulaire shakespearien digne de ce nom même après traduction:
«De ton insidiateur j’ai tiré l’incarnate peinture.
Devant son air perplexe j’ai traduit l’anglais en anglais:
J’ai répandu le sang de ton espion.»
Poète, romancier et nouvelliste originaire d’Irlande, Gerard Donovan fera paraître prochainement un recueil de nouvelles: Country of the Grand. On a déjà hâte.
(Le prêt est une gracieuseté de Livres en tête)

mardi 11 août 2009

MORLANTE

Stéphane Dompierre, roman d'aventures, éditions Coups de tête, 154 pages
Décidément, les pirates sont à l'honneur par les temps qui courent. Après M. Camille Bouchard, voici que Stéphane Dompierre se jette à l'eau en pleine mer des Caraïbes infestée de requins et de corsaires.
Amateurs de violence et de clichés, vous serez comblés. On n'a qu'à penser ici au surhomme sans foi ni loi pouvant se battre seul contre une armée, mais tremblant comme un premier communiant devant une pitoune bien roulée. Ne nous limitons cependant pas à ce seul énoncé réducteur. Ainsi ai-je bien aimé certaines réflexions de l'auteur, à commencer par celle-ci: «... mes conversations perdaient toute cohérence, les discussions n'avaient plus d'intérêt pour moi; pourquoi perdre mon temps à raconter quoi que ce soit, avec des mots approximatifs, alors que je pouvais m'exprimer plus clairement par écrit, en prenant mon temps, en choisissant le bon ton, en n'étant interrompu par personne?».
Ensuite j'apprécie l'humour noir et l'ironie: «Morlante pose sa tasse, sort son calepin, trempe sa plume dans une gorge de pirate fraîchement tranchée où éclatent encore quelques petites bulles, et inscrit, sur une page blanche, pour être certain de ne pas l'oublier: «Le crime ne paie pas.» Voilà la beauté, mais aussi le grand drame de l'écrivain: même avec des machettes aux poings, même en admirant des navires en flamme, même en dégustant un thé vert à petites gorgées, il est toujours au travail.» Pas mal dans le genre, non?
Âmes prudes, s'abstenir.
(Le prêt est une gracieuseté de Livres en tête)

mardi 4 août 2009

L'homme qui ne voulait pas vieillir

Robert Genest, roman, Les éditions GID, 188 pages
Liberté, choix - ces mots ont tellement été galvaudés, notamment par les amateurs de radio-poubelle, qu'on hésite maintenant à les employer. Dans l'histoire qui suit, cependant, les deux termes retrouvent bel et bien leur sens premier.
Archibald Bonenfant est le genre d'homme qui sait ce qu'il veut. Ou plutôt, il sait ce qu'il ne veut pas: laisser la maladie prendre le dessus et le mener pas à pas vers la déchéance, la dépendance et enfin la mort. Voilà pourquoi il prendra les choses bien en mains avant que celles-ci ne le trahissent tout à fait. Le plus délicat sera de convaincre ses proches de la nécessité absolue de sa démarche.
Hobby mettra un an complet à préparer son 50e anniversaire, moment où il fera le bilan de sa vie et offrira un dernier témoignage d'amitié aux sept personnes encore de ce monde qui auront indubitablement marqué son existence. Comme son scénario est réglé au quart de tour, il saura trouver les mots justes pour les amener lentement mais sûrement à accepter son choix: «Le Parkinson veut que ma vie soit une plaie ouverte qui s'infecte davantage de jour en jour, à la vue de gens qui aimeraient mieux regarder ailleurs. Je constate simplement que moi qui ai voulu contrôler toute ma vie dans ses détails les plus essentiels (je crois y être parvenu) et bien je ne suis même plus capable de contrôler mes gestes les plus élémentaires. Je ne suis pas amer, je suis triste de voir que mon essence s'évapore, se désagrège lentement.»
J'ai trouvé ce récit extrêmement intéressant; il y a là matière à réflexion pouvant donner lieu à de franches discussions sur le suicide, l'euthanasie, l'ultime pouvoir de maîtriser sa destinée pendant qu'il en est encore temps.
Attention toutefois - cette œuvre fictive ne se veut nullement l'apologie d'une solution parfois facile, parfois insensée. Il s'agit évidemment d'une question purement personnelle.
Il n'y a ici qu'un seul fait à déplorer: les nombreuses fautes de français venant vous distraire d'une lecture autrement captivante.