mardi 14 juillet 2009

Pirates 3 - L'emprise des cannibales

Camille Bouchard, roman aventure, éditions Hurtubise, 285 pages
Hardi, moussaillons! S'il n'y a rien pour vous faire peur: ni cannibales, ni sang ni mots trop savants, lancez-vous tête première dans ce récit décoiffant et tâchez d'en ressortir sans œil de verre ni moignon.
Ceux qui ont lu les deux premiers tomes de Pirates (L'Île de la Licorne et La Fureur de Juracan), attendaient sans doute avec impatience la réplique de Cape-Rouge, redoutable personnage hantant les mers du Sud à la recherche d'ennemis à abattre. Les autres découvriront un épisode enlevant - inspiré d'une époque cruelle et bien réelle - qu'il est toutefois préférable de rattacher à son contexte, ne serait-ce que pour les termes n'ayant pas été répétés au glossaire du 3e volume. Cet outil s'avère pour le moins pratique, l'auteur maniant avec un évident bonheur mots dérivés de dialectes indigènes de l'époque (XVIe siècle), expressions venues du vieux français et termes maritimes: «En fait, expliqua Cape-Rouge, (...) le talon du mât de perroquet est posé à l'arrière du ton de hune, assis dans une emplanture entièrement reconstruite, le chouquet inversé.» Plaît-il?
Le ton est donné d'entrée de jeu, alors que le jeune Lionel Sanbourg prend la plume pour écrire dans un français châtié: «Ainsi donc, voici, de ma prose malhabile et de ma main pataude, le récit de notre communauté embarquée dans une entreprise de revanche à bord du galion nommé - à plus d'un titre juste - Ouragan. Vous suivrez, retracés d'encre noire, les sillons rouges que balafre notre navire sur le visage de la mer.» Qu'en termes élégants ces choses-là sont dites.
L'auteur a reçu notamment le Prix littéraire du Gouverneur général pour la littérature jeunesse avec Le Ricanement des hyènes et le Prix Alvine-Belisle 2005 pour L'Intouchable aux yeux verts.

mardi 7 juillet 2009

Lire Lolita à Téhéran

Azar Nafisi, domaine étranger 10/18, récit, 467 pages
J'ai lu ce livre peu avant que ne soit reporté au pouvoir le fondamentaliste Mahmoud Ahmadinejad le 12 juin dernier. À la lumière de ce qui s'est produit et perdure depuis ces élections controversées, on peut aisément se figurer la déception de l'auteure et ses étudiantes.
Le récit d'Azar Nafisi, qui a dû abandonner son poste de professeure en littérature étrangère à l'université de Téhéran lors de la révolution islamique, se veut une chronique du quotidien des Iraniennes déchirées entre l'espoir de jours meilleurs et le désir de fuir. Avant de s'envoler pour les États-Unis, Mme Nafisi passera deux ans à initier sept de ses étudiantes aux grands classiques américains, russes et anglais. À travers Nabokov, James et Austen, on survole la littérature tout en suivant l'évolution de ces jeunes femmes qui, invisibles et démunies sous leur tchador, auraient pourtant bien des choses à raconter.
Voici l'essence du message que livre Azar Nafisi aux Occidentaux que nous sommes, peinant à faire la part des choses entre radicaux, intégristes et une importante partie de la population, privée de ses moyens: «Mais pour reprendre les mots d'Humbert Humbert, le poète et criminel héros de Lolita, j'ai besoin que toi, lecteur, tu nous imagines, car autrement nous n'existerons pas. Contre la tyrannie du temps et de la politique, imagine-nous comme nous-mêmes nous n'osions pas le faire: dans nos instants les plus intimes, les plus secrets, dans les circonstances de la vie les plus extraordinairement ordinaires, en train d'écouter de la musique, de tomber amoureuses, de descendre une rue ombragée, ou de lire Lolita à Téhéran sous la révolution. Et imagine-nous ensuite quand tout cela nous fut enlevé, interdit, arraché.»
Lire Lolita à Téhéran a remporté le prix du Meilleur livre étranger 2004 et le Prix des lectrices de Elle, catégorie Document, en 2005.