mardi 24 novembre 2009

LE VOYAGE D’HIVER

Amélie Nothomb, roman, Albin Michel, 133 pages

Mesdames et Messieurs, veuillez attacher vos ceintures. Amélie Nothomb vous convie à un vol plané où l’amour et la démesure se disputent les meilleures places.

Puisque nous voici dans les hauteurs, profitons-en pour saluer le travail d’écrivaines jetant un regard bien à elles – éclairé et essentiel - sur la société contemporaine. Tout là-haut au sommet de ma liste, Amélie Nothomb joue de la plume aux côtés des Monique Proulx, Nancy Huston et Anna Gavalda, pour ne nommer que celles-là. Sans doute leur est-il plus aisé d’exprimer leur point de vue que leurs camarades réalisatrices, elles qui peinent tant à obtenir les fonds nécessaires à la diffusion de leurs oeuvres. Faudrait leur poser la question en compagnie, tiens, de Micheline Lanctôt ou encore Marquise Lepage* mais, pour l’instant, revenons à nos moutons.

Zoïle, Astrolabe et Aliénor (mais où va-t-elle donc pêcher ces noms à coucher dehors!) forment un triangle qui conduira Zoïle, amoureux transi, à détourner un Boeing 747 par pur désespoir. C’est que la dame de ses pensées a très peu de temps à lui consacrer, occupée qu’elle est à prendre soin de la neuneu qui lui tient lieu de colocataire. Cette dernière ne fait qu’empoisonner la vie de notre pirate de l’air amateur qui, prend-il bien soin de le préciser, n’a pourtant rien d’un terroriste. «Ma logique est celle-ci: Astrolabe est de très loin ce que j’ai rencontré de mieux sur cette planète. Elle n’a pas des qualités, elle est la qualité. Et cela ne l’a pas empêchée de me traiter avec une cruauté castratrice. Donc, si même le fleuron de l’humanité ne vaut pas mieux que cela, liquidons l’affaire.»

Écriture raffinée, ironie, humour et une érudition à faire pâlir d’envie n’importe quel rat de bibliothèque font d’Amélie Nothomb ce qu’elle est: celle dont on attend chaque année les quelques pages qui nous mèneront dans son imaginaire - complètement délirant la plupart du temps. D’accord, Le voyage d’hiver n’est pas l’histoire la plus palpitante qu’elle ait jamais écrite, mais les qualités énumérées ci-dessus demeurent.

* «Si nos films ne se font pas, c’est tout un pan du monde qui n’est pas représenté, avec nos thèmes, nos particularités, nos corps, nos sensibilités.» - Marquise Lepage, Gazette des femmes sept.-oct. 2009

Le prêt est une gracieuseté de Livres en tête.

mardi 17 novembre 2009

Bienvenue au royaume des Roms

Présentement en tournée au Québec, huit musiciens époustouflants nous ont offert vendredi soir un voyage en «Tsiganie» qui, sincèrement, valait le détour.

Dans La Corrida, Jean Cocteau disait des Gitans: «Ce peuple mystérieux qui semble cracher des fleurs de feu et trépigner pour les éteindre.» Le mystère et les flammes devaient attirer Dimitri puisque, tout jeune, il s'enfuit de chez lui pour suivre un groupe de Romanichels. Quelque part en Bosnie, Dimitri sauve de la noyade un de leurs enfants et se voit offrir un ours en signe de reconnaissance. Le nomade de cœur sinon de naissance devient alors dompteur et fonde des années plus tard Urs Karpatz. Voilà pour la petite histoire et l'origine du nom de ces Ours des Carpathes. Ce même Dimitri vous livre en français le sens des chants interprétés en romanès, langue des Tsiganes.

Il y est question de saisons, de beauté, d'espérance, de mal-être. Ici j'aime bien cette image du serpent à l'intérieur de soi que l'on extrait par le chant et la danse. Si la langue, les instruments et les sonorités diffèrent, tout folklore explore en soi des thèmes similaires. Mes Aïeux recréent sensiblement la même atmosphère et cette chanson intitulée «J'ai parcouru la terre avec mes semelles usées» ne vous rappelle-t-elle pas quelque chose? Si Urs Karpatz vient autant vous chercher - ce fut le cas - on le doit à l'exotisme, à la virtuosité des musiciens qui chacun son tour prend le devant de la scène, au mariage des voix, superbes, et enfin au charisme que dégagent ces singuliers troubadours. Quant à leur musique, elle se fait tantôt mélancolique, tantôt pleine d'entrain. Outre leurs propres compositions et des pièces d'origine roumaine, bulgare, ukrainienne... ils interprètent des danses hongroises de Johannes Brahms, compositeur qui aurait eu une grande influence sur leur art.

On nous a donné la permission à l'entracte d'aller examiner de plus près cet étrange instrument trônant au milieu de la scène appelé cymballum, ou piano tsigane. Heureuse initiative, car plusieurs étaient fort intrigués.

Dimitri et sa bande font la preuve qu'ils savent apprivoiser autre chose qu'un ursidé. L'enthousiasme soulevé dans la salle était indéniable et l'on n'a pas été avare sur les rappels. Le premier d'entre eux fut, textuellement, «Bonsoir à tous et faites de beaux rêves». Des rêves permettant, par exemple, de poursuivre ce périple d'Europe centrale jusqu'au nord de l'Inde, en passant par les Balkans.

mardi 10 novembre 2009

Le jeu de l'ange

Carlos Ruiz Zafon, roman, Éditions Robert Laffont, 537 pages
J'avais adoré L'Ombre du vent, œuvre brillante et originale ayant remporté le Prix du meilleur livre étranger - roman 2004 et s'étant vendue à dix millions d'exemplaires dans le monde. Je nourrissais donc de grandes espérances (merci Dickens) face à cette nouvelle création de l'écrivain catalan. Eh bien tant pis, ce sera pour une autre fois.

Si Le jeu de l'ange n'est pas un mauvais roman, il n'est décidément pas à la hauteur de L'Ombre du vent. On est pourtant ravi d'y retrouver sensiblement la même atmosphère: la Barcelone du début du 20e siècle, le Cimetière des livres oubliés, l'aura de mystère... On est même très intéressé - à prime abord - par les tribulations de David, une carrière qui s'amorce et quelques perles de l'auteur: «L'homme au journal m'observait d'un air amusé, avec cette lucidité que seuls manifestent par moments certains cerveaux dérangés.» Malheureusement ça se gâte après une centaine de pages - l'intérêt s'émousse, on fait du surplace.

En gros, un jeune écrivain gaspillant son talent au profit d'éditeurs véreux se voit offrir un contrat plus que lucratif par une espèce de Lucifer à cravate sorti d'on ne sait où. Le trouble personnage exige de sa part LE livre qui n'a pas encore été écrit, sorte de nouvelle Bible universelle qui aurait un impact crucial sur tous les humains peuplant cette planète en perdition. «Ce que je veux de vous, c'est que vous trouviez une manière intelligente et séduisante de répondre aux questions que nous nous posons tous, et que vous le fassiez à partir de votre propre lecture de l'âme humaine, en mettant en pratique votre art et votre métier. Je veux que vous apportiez un récit qui réveille l'âme.

- Rien de plus...

- Et rien de moins.»

Bien que méfiant, David acceptera ce contrat qu'il signera de son sang puisque de toute façon il n'a plus rien à perdre, ses jours étant comptés. «Je ne peux pas mourir encore, docteur. Pas tout de suite. J'ai des choses à faire. Après, j'aurai toute la vie pour mourir.»

Voilà donc notre macchabée en sursis s'attelant à une tâche qui s'avérera un véritable guêpier où tomberont comme des mouches tous ceux qui l'entourent. Se transformant au fil des pages en justicier-enquêteur, David lui-même échappera à la mort de justesse à maintes reprises, tel un Road Runner version espagnole.

«Il n'est rien, sur le chemin de la vie, que nous ne sachions déjà avant de nous y être engagés. On n'apprend rien d'important dans l'existence, on ne fait que se souvenir.» Pour avoir semé pareil désastre sur son passage, David Martin aura de toute évidence un ou deux souvenirs qui lui auront fait défaut.

Le prêt est une gracieuseté de Livres en tête.

mardi 3 novembre 2009

Une escale à Kingsey Falls

Nora Atalla, roman, Les Éditions GID, 115 pages

La nouvelle est un genre littéraire que j'apprécie tout particulièrement. Un auteur maîtrisant ses éléments - concision, rythme, sens de la chute - peut en tirer de petites merveilles.

Nora Atalla possède ce talent et l'exploite, pour notre plus grand plaisir, dans Une escale à Kingsey Falls. Son séjour de trois ans dans la région des Bois-Francs lui aura inspiré une suite de courts récits, sorte de chronique des faits et personnages qui auraient marqué ce petit village (du moins dans l'imaginaire de l'auteure).

On voit l'endroit comme un asile où auraient trouvé refuge des immigrants ayant fui l'horreur pour se refaire une santé en terre plus clémente. Si Félix Van der Vooten, Fédor Isanbaumgartner et Fang Ying Kim ont des plaies à panser, ils ne sont pas les seuls. Les gens de la place doivent eux aussi faire face aux grandes et petites misères qui composent leur quotidien. Heureusement que la jeune Emma veille au grain! «Aujourd'hui, Aurélie Boisjoly revêtit ses plus beaux atours pour se rendre à la messe de Pâques. Devant le lutrin, elle s'adressera aux ouailles de Saint-Aimé et leur offrira en témoignage ses lendemains de désolation, ses frayeurs sans nom, son incurable solitude, l'immensité de son désespoir. Aurélie Boisjoly leur parlera aussi d'une petite fille et de sa carte de l'espoir qui la fit renaître de ses cendres; de la main tendue d'Amélie Favreau; de l'auberge qu'elles ont achetée ensemble; d'Ophélia qui grandira entre elles. Oui, Aurélie Boisjoly leur racontera sa résurrection».

Vous aurez vite fait de passer à travers les vingt-deux chapitres au cours desquels les destins d'Amélie, Florence, Emma et tous ces autres personnages attachants se croisent et parfois s'unissent afin d'affronter l'adversité. Aurélie et Jonathan Robert en sont un parfait exemple: «J'ai cinquante-huit ans, j'ai une maladie incurable, et je suis une morte en sursis. (...) J'ai cinquante-cinq ans, je suis un amoureux incurable, et tout le monde meurt un jour ou l'autre.»

Lauréate de l'Apollon d'Or 2008 de Poésie vivante, Nora Atalla remportait en 2007 cinq prix littéraires dont le Premier prix du Libraire (nouvelle) et le Premier prix du Rêve (conte) de Regards.