mardi 22 décembre 2009

J'ATTENDAIS QUE TU OSES UN GESTE

Claude Vallières, nouvelles, Éditions Vents d'Ouest, 146 pages

Une chose me fascine encore et toujours en littérature: quand on pense que tout a déjà été écrit et qu'à peu de choses près le destin de M. Untel vaut bien celui de Mme Unetelle, quelqu'un quelque part réussit à vous arracher une larme ou un frisson, une fois de plus.

Un préposé aux bénéficiaires vient tout juste de comprendre la motivation d'une vieille dame arpentant chaque jour à une heure précise les couloirs d'un centre hospitalier en scandant le même thème, confus, que nul autre n'a encore réussi à décoder. Résultat de cette prise de conscience: «Je me suis approché vers elle et j'ai glissé mon bras sous le sien en le tenant fermement. J'ai chanté tout fort dans l'allée qui mène au poste de garde: Pomm-pom-po-pomm, pomm-pom-po-pomm! Elle redressa le dos, bomba le torse et retrouva un semblant de dignité égarée il y a longtemps dans les méandres de sa maladie. Depuis, tous les après-midi vers quinze heures, nous nous remarions madame Roberge et moi; elle avec son homme, moi avec mon métier. Nous chantons et grognons à tue-tête dans le corridor comme deux jeunes amoureux. Et je vous jure, je vous jure qu'à chaque fois, j'ai un peu l'impression d'être comme un livre de Jacques Poulin.»

Qu'est-ce que je vous disais? Vous l'avez bien ressenti le frisson, non? Les autres thèmes abordés dans ce deuxième recueil sont la rupture, l'art, la nature, les vieilles blessures dont il nous faut guérir, l'amour filial... À ce chapitre, j'ai trouvé particulièrement savoureuse l'idée du pot de peines. Vous connaissez? Il s'agit d'un truc transmis de génération en génération afin d'apaiser les angoisses de l'enfance.

Claude Vallières, auteur-compositeur-interprète et chanteur au sein du groupe La Bande Magnétik, nous livre ici douze tranches de vie écrites d'une plume sensible et élégante qu'on avait déjà appréciée dans «Les jours où je suis né», publié en 2005.

mardi 15 décembre 2009

Place au jazz

Le Festival International de Jazz de Montréal fête son 30e anniversaire et Les Arts de la scène de Montmagny se sont mis de la partie en invitant Coral Egan et John Pizzarelli à présenter ici même l'avant-dernière d'une tournée concoctée pour l'occasion.

Initiée toute jeune à la musique grâce à sa mère Karen Young, Coral Egan fait ses débuts au Festival de jazz à l'âge de 11 ans. On ne s'étonne plus dès lors qu'elle soit sur scène dans son élément. Pieds nus, décontractée, elle passe de la guitare au piano afin d'enchaîner les Time to clean up, Whenever, Down to the river et Breath d'une voix envoûtante qui ne craint aucunement la gymnastique vocale. Entre les pièces elle fait de l'humour et se révèle fort sympathique. Coral Egan était accompagnée samedi soir d'une claviériste enrhumée et d'un guitariste plutôt discret. On se demande bien ce qu'ils réussissent à accomplir au meilleur de leur forme, car l'harmonie vocale du trio méritait déjà une note plus qu'appréciable.

Après l'entracte apparaît un John Pizzarelli très classe, semblant sortir d'une autre époque - le New York des Frank Sinatra et Irving Berlin personnifié. Lui aussi nous fait rire, avouant candidement que ce qu'il a retenu de ses cours de français - à savoir «Où est Sylvie?» - ne s'est pas avéré d'une grande utilité pour sa carrière. Il fait quand même l'effort de s'adresser au public dans sa langue et on apprécie. Le John Pizzarelli Quartet comprend un percussionniste, un pianiste virtuose à qui il laisse beaucoup de place et son propre frère Martin, à la contrebasse.

Ils rendent hommage entre autres à Nat King Cole et Sinatra, dont on fête ce jour-là l'anniversaire de naissance. Les musiciens font beaucoup d'improvisation bien sûr, c'est propre au genre, mais une question demeure: qu'est-il donc advenu du Body & Soul qu'on nous avait annoncé, exceptionnellement? S'il s'agissait de la chanson de Joe Jackson on était déjà tout oreilles, mais elle est passée tellement vite qu'on ne l'a jamais entendue. En lieu et place on s'est retrouvé avec Here comes the sun et Can't buy me love, ce qui n'était tout de même pas à dédaigner.

Longuement applaudi, celui qui a reçu le prix Ella-Fitzgerald 2009 au Festival de jazz de Montréal clôturait la soirée en solo au deuxième rappel avec Merry Christmas.

mardi 8 décembre 2009

Toute une réussite

Ce titre est valable à plusieurs points de vue. Primo, le concert qu'on nous a présenté samedi soir à l'église Saint-Mathieu valait bien le déplacement. Secundo, les gens qui au cours des quarante dernières années ont gravité autour du Centre communautaire Normandie en ont fait un espace à caractère social nécessaire et convivial. Tertio, Mme Nathalie Samson et ses camarades contribuent à redorer le blason d'un quartier de la ville peut-être mal-aimé, assurément méconnu.

Sœur Lucienne St-Cyr et M. Claude Hamelin sont à l'origine d'un centre de services communautaires qui ouvre ses portes le 24 décembre 1969 sur ce que l'on nomme aujourd'hui le chemin St-Léon. Grâce à d'indéfectibles bénévoles et quelques employés qui ont à cœur de poursuivre cette heureuse initiative, le Centre communautaire Normandie fête ce mois-ci ses quarante ans de vie active. Quoi de mieux pour célébrer l'événement qu'un spectacle de variétés amenant chacun des participants à partager une passion commune: la musique.

Une panoplie d'artistes de la région, professionnels et amateurs confondus, ont répondu à l'invitation de Mme Samson. Leur cachet? La gratitude de la directrice qui a fait des pieds et des mains pour arriver à ses fins et l'accueil chaleureux de plus de 400 spectateurs. S'il y eut plusieurs prestations bien senties et rendues avec beaucoup de talent, je crois que le clou de la soirée revient au baryton Dominic Côté qui nous a offert un Minuit Chrétiens digne de ramener un païen à l'église en courant. Cela n'enlève rien aux autres interprètes (qu'on ne nommera pas ici faute d'espace) mais qui tous dans une même direction - ça vous rappelle quelque chose? - ont su marier leurs énergies afin que naisse un peu de magie. Nous ne ferons qu'une exception et ce sera pour souligner la présence de Legato, formé d'une douzaine de musiciens de tous les âges. Ce groupe est parrainé par le Centre communautaire Normandie et dirigé par Mme Samson, alors difficile de passer à côté. En plus ils sont bons.

Félicitations aux instigateurs de l'événement et longue vie à leur institution.

mercredi 2 décembre 2009

PARADIS CLEF EN MAIN

Nelly Arcan, roman, éditions Coups de tête, 216 pages

«La vie vaut toujours la peine d'être vécue, ne serait-ce que pour jurer contre elle. Ne serait-ce que pour être témoin, tête haute, de son insondable absurdité.» Déroutant, vous en conviendrez, de la part d'une femme qui s'est suicidée peu de temps après avoir écrit ces lignes.

Nelly Arcan s'est enlevé la vie le 24 septembre dernier alors qu'on publiait son quatrième roman, «Paradis clef en main». Difficile de faire mieux - ou pire - pour attirer l'attention du lecteur, mais ce n'était pas le but. On perçoit dans cette œuvre de fiction un désir de survivre au moins aussi intense que celui de mourir. J'emploie à dessein le verbe survivre, car il est clair que la madame hébergeait de sérieux démons avec lesquels chaque jour elle devait se battre. Quel dommage, vraiment, car il s'agissait d'une jeune femme intelligente et douée, faisant preuve d'une lucidité implacable. S'il vous vient des envies après la lecture de Paradis clef en main, ce sera de découvrir ses précédents écrits et non de mettre fin à vos jours.

On y raconte l'histoire d'Antoinette Beauchamp, entrée en contact avec un organisme censé aider les désespérés à abréger leurs souffrances, qu'elles soient physiques ou morales. Après avoir franchi toutes les épreuves jugées nécessaires, Toinette est enfin prête à faire le grand saut. Son initiative s'avère toutefois un échec lamentable et plutôt que de se retrouver assise sur un nuage, la voilà paraplégique et confinée à un lit qu'elle ne quittera plus durant deux longues années. Elle emploiera ce temps à déverser quotidiennement son trop-plein d'amertume et de hargne sur sa mère, seul lien entre elle et le monde des vivants. Le cynisme est son armure, la vodka son évasion, mais viendra un temps où notre grabataire devra envisager de nouvelles solutions.

Sombre? Évidemment. Tordu? Par moments. Dur? Cru? Oh que oui. Mais ce que je retiens essentiellement du message de Nelly Arcan est la ligne très nette qu'elle trace entre ceux qui passent à l'acte à la suite d'un événement tragique - qu'on peut associer à un état dépressif circonstanciel - et les autres, sans doute une minorité, marqués dès leur naissance par comment dire... une espèce de défaut de fabrication. C'est du moins ce qu'elle tente d'exprimer en parlant de la mission que s'est donnée M. Paradis: «Il a compris que la vie, dans certains cas, était une maladie à soigner. Cette maladie, c'est l'énergie, la volonté, la foi. Ou plutôt, c'est leur défaut. C'est une absence primordiale de ce qu'il faut pour vivre, pour vouloir vivre, un défaut de force vitale antérieur à l'expérience de la vie, permanent, intolérable. Sans cette énergie, le monde n'a aucun sens.»

Peut-être trouvera-t-on un jour le remède à ce mal-être qui vient faucher nombre de vies bien avant l'heure. Pour Nelly Arcan, il est malheureusement trop tard.

Le prêt est une gracieuseté de Livres en tête.