mercredi 2 décembre 2009

PARADIS CLEF EN MAIN

Nelly Arcan, roman, éditions Coups de tête, 216 pages

«La vie vaut toujours la peine d'être vécue, ne serait-ce que pour jurer contre elle. Ne serait-ce que pour être témoin, tête haute, de son insondable absurdité.» Déroutant, vous en conviendrez, de la part d'une femme qui s'est suicidée peu de temps après avoir écrit ces lignes.

Nelly Arcan s'est enlevé la vie le 24 septembre dernier alors qu'on publiait son quatrième roman, «Paradis clef en main». Difficile de faire mieux - ou pire - pour attirer l'attention du lecteur, mais ce n'était pas le but. On perçoit dans cette œuvre de fiction un désir de survivre au moins aussi intense que celui de mourir. J'emploie à dessein le verbe survivre, car il est clair que la madame hébergeait de sérieux démons avec lesquels chaque jour elle devait se battre. Quel dommage, vraiment, car il s'agissait d'une jeune femme intelligente et douée, faisant preuve d'une lucidité implacable. S'il vous vient des envies après la lecture de Paradis clef en main, ce sera de découvrir ses précédents écrits et non de mettre fin à vos jours.

On y raconte l'histoire d'Antoinette Beauchamp, entrée en contact avec un organisme censé aider les désespérés à abréger leurs souffrances, qu'elles soient physiques ou morales. Après avoir franchi toutes les épreuves jugées nécessaires, Toinette est enfin prête à faire le grand saut. Son initiative s'avère toutefois un échec lamentable et plutôt que de se retrouver assise sur un nuage, la voilà paraplégique et confinée à un lit qu'elle ne quittera plus durant deux longues années. Elle emploiera ce temps à déverser quotidiennement son trop-plein d'amertume et de hargne sur sa mère, seul lien entre elle et le monde des vivants. Le cynisme est son armure, la vodka son évasion, mais viendra un temps où notre grabataire devra envisager de nouvelles solutions.

Sombre? Évidemment. Tordu? Par moments. Dur? Cru? Oh que oui. Mais ce que je retiens essentiellement du message de Nelly Arcan est la ligne très nette qu'elle trace entre ceux qui passent à l'acte à la suite d'un événement tragique - qu'on peut associer à un état dépressif circonstanciel - et les autres, sans doute une minorité, marqués dès leur naissance par comment dire... une espèce de défaut de fabrication. C'est du moins ce qu'elle tente d'exprimer en parlant de la mission que s'est donnée M. Paradis: «Il a compris que la vie, dans certains cas, était une maladie à soigner. Cette maladie, c'est l'énergie, la volonté, la foi. Ou plutôt, c'est leur défaut. C'est une absence primordiale de ce qu'il faut pour vivre, pour vouloir vivre, un défaut de force vitale antérieur à l'expérience de la vie, permanent, intolérable. Sans cette énergie, le monde n'a aucun sens.»

Peut-être trouvera-t-on un jour le remède à ce mal-être qui vient faucher nombre de vies bien avant l'heure. Pour Nelly Arcan, il est malheureusement trop tard.

Le prêt est une gracieuseté de Livres en tête.

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