mardi 17 février 2009

Une femme à Berlin

Journal 20 avril - 22 juin 1945, auteure anonyme, folio, 394 pages
L'après-guerre peut être aussi sinon plus pénible que le conflit lui-même - tout dépend bien sûr du point de vue. Chose certaine, ce que raconte une femme d'une trentaine d'années se terrant après la chute de Berlin dans une cité envahie par l'armée russe a de quoi vous faire remettre en perspective la gravité de vos malheurs.
Le ton employé (neutralité, absence d'émotion, humour même) est peut-être ce qu'il y a de plus saisissant dans ce récit d'un calvaire qui aura duré deux mois. Doit-on parler de sang froid ou plutôt, comme elle le laisse entendre, d'un engourdissement des sens? Bien qu'elle ait enduré la faim, le froid, les travaux forcés et, surtout, les viols à répétition, l'auteure ne cède ni à la panique ni à l'apitoiement. Elle choisit plutôt de faire face avec les moyens à sa portée, soit:
- Relativiser: «La somme des larmes est constante. Quelles que soient les formules ou les bannières auxquelles les peuples se rallient, quels que soient les dieux auxquels ils croient ou leur pouvoir d'achat: la somme des larmes, des souffrances et des angoisses est le prix que doit payer tout un chacun pour son existence, et elle reste constante. Les populations gâtées se vautrent dans la névrose et la satiété. Ceux auxquels le sort a infligé un excès de souffrances, comme nous aujourd'hui, ne peuvent s'en sortir qu'en se blindant.»
- Tenter de reprendre foi en l'humanité: «J'ai lu du Rilke, du Goethe, du Hauptmann. C'est consolant de savoir qu'eux aussi sont des nôtres et de notre espèce.»
- Affronter sa propre culpabilité: «Aucune victime n'a le droit de porter sa souffrance comme une couronne d'épines. Moi, en tout cas, j'avais le sentiment que ce qui m'arrivait là réglait un compte.»
Ces dernières phrases auraient été adressées en 1947 à Kurt W. Marek, journaliste et critique Berlinois qui réussit à faire paraître le livre chez un éditeur américain en 1954. La nouvelle édition, parue plusieurs décennies après la version originale, ne pouvait voir le jour qu'après le décès de l'auteure, selon sa volonté. La dame fut d'ailleurs inflexible sur ce dernier point et l'on comprend pourquoi.
Il s'agit ici d'un témoignage historique, authentique et troublant ramenant pour une énième fois ces mille questions sans réponse liées à la guerre et à la cruauté de l'homme.

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